Survol

Dans le cadre d’une initiative visant à assurer la stabilité et la sécurité du secteur financier au vu d’un paysage des paiements en pleine évolution, le gouvernement a signalé, dans le budget de 2022, son intention de lancer un examen législatif du secteur financier relativement à la numérisation de l’argent, notamment en créant une monnaie numérique de banque centrale (MNBC).

L’Association des banquiers canadiens (ABC)1, dans un document de position précédent2 axé sur l’émission éventuelle d’une MNBC de détail, a souligné l’importance de livrer une vision claire des objectifs stratégiques en matière de MNBC avant que le Parlement du Canada ne prenne la décision d’en émettre une.

Les recherches menées par la Banque du Canada3 concluent qu’il est peu probable qu’un modèle unique de MNBC permette d’atteindre tous les objectifs stratégiques déclarés par le gouvernement et que toute décision d’émettre une telle MNBC entraînerait des compromis entre les diverses caractéristiques de conception d’une éventuelle MNBC de détail. Le présent exposé se penche ces questions sous toutes les coutures.

Considérations relatives à la conception d’une MNBC canadienne

L’ABC se range à l’avis de la Banque centrale selon lequel un dollar canadien numérique n’est pas actuellement nécessaire4. Le système de paiement canadien, en pleine évolution, est en train de récolter les fruits des efforts et des investissements collectifs que les banques et d’autres intervenants de l’écosystème ont investis pour améliorer l’efficacité et la commodité générales des paiements de détail. Le Canada offre déjà des modes de paiement fiables, sûrs et quasi instantanés entre les particuliers à l’intérieur du pays. Par ailleurs, selon les données de la Banque mondiale5, notre pays dispose du système financier le plus inclusif parmi tous les pays du G7, plus de 99 % de la population ayant un compte auprès d’une institution financière. Dans un tel contexte, les avantages supplémentaires que pourrait offrir une MNBC restent nébuleux.

Au‑delà de l’absence d’un besoin immédiat ou d’une politique justificatrice claire, comme le soulignait l’exposé susmentionné de l’ABC, il serait important que le gouvernement informe la population des risques posés par une MNBC. Nous encourageons la Banque du Canada et le gouvernement à consulter davantage les particuliers sur les risques et les choix d’intérêt public nuancés à ce sujet, afin d’obtenir suffisamment de données sur les préférences et les préoccupations des consommateurs canadiens à l’égard d’une MNBC.

Il est également essentiel que le gouvernement énonce des priorités sans ambiguïté sur les différentes initiatives de modernisation actuelles et fournisse une feuille de route décrivant la façon dont ces flux de travail parallèles se recoupent, tant à court terme qu’à long terme. Au nombre de ces initiatives figurent des projets pour moderniser le système de paiements et lancer un régime bancaire mené par le consommateur (également connu sous le nom de système bancaire ouvert), en plus des discussions en cours concernant le traitement réglementaire approprié des cryptoactifs, dont les cryptomonnaies stables.

Le premier document de position de l’ABC soulignait l’importance d’établir et de confirmer les motivations stratégiques d’une MNBC de détail avant qu’une telle monnaie ne soit émise. Nous serons heureux de collaborer avec le gouvernement pour comprendre ses grands objectifs et déterminer si l’émission d’une MNBC est le moyen le plus efficace de les atteindre. Nous sommes également prêts à discuter des cas d’utilisation prévus d’un dollar numérique de détail.

Compte tenu de la complexité de ces enjeux, l’ABC estime que la justification stratégique et les avantages éventuels d’une MNBC doivent faire l’objet de consultations supplémentaires. Toutefois, si la décision d’émettre une MNBC est prise, l’ABC recommande à la Banque du Canada d’adopter une approche en plusieurs étapes pour l’émission d’un dollar numérique, similaire à l’approche adoptée par d’autres pays, dont le Royaume‑Uni et les pays de l’Union européenne. La première étape consisterait à définir clairement les façons dont une MNBC canadienne de détail serait utilisée et à canaliser les efforts sur les essais, la mise au point et l’émission d’un dollar numérique doté d’une fonctionnalité de base.

À long terme, les décisions prises à l’étape initiale influeront sur la conception et la fonctionnalité définitives d’une MNBC canadienne de détail. En se concentrant, dans un premier temps, sur les quatre caractéristiques décrites ci‑dessous, d’autres caractéristiques plus complexes (comme la programmabilité ou l’interopérabilité transfrontalière) pourraient être abordées ultérieurement.

Première caractéristique de conception : modèle hybride à deux paliers

Une décision importante au début de la conception d’une MNBC consiste à savoir s’il faut opter pour un modèle à un palier, entièrement pris en charge par la Banque du Canada, ou un modèle à deux paliers qui fait également appel à d’autres acteurs.

L’ABC croit qu’un modèle de distribution hybride à deux paliers, dans lequel les utilisateurs finaux poursuivent leurs relations avec leurs fournisseurs de services financiers au lieu d’avoir à établir une nouvelle relation directe avec la banque centrale, comme décrit par la Banque des règlements internationaux (BRI)6, est celui qui maintiendrait le meilleur équilibre entre les avantages et les risques de sécurité, de stabilité, de compétitivité et d’efficacité du système financier canadien. Un tel modèle est particulièrement nécessaire en raison de l’absence d’une réglementation efficace en matière de conformité sur le marché pour les fournisseurs de services de paiement non bancaires7.

Les recherches de la Banque du Canada ont également révélé les avantages inhérents à un modèle à deux paliers, qui limite au minimum la charge opérationnelle imposée à la Banque du Canada, laquelle n’est pas outillée pour confirmer l’identité des clients ou gérer les comptes individuels, ce qui serait nécessaire dans le cadre d’un modèle à un palier8.

Dans un modèle à deux paliers, les fournisseurs de services financiers bien réglementés qui auraient fait preuve de stabilité prudentielle et de capacité opérationnelle, notamment l’utilisation de comptes de règlement à la Banque du Canada, seraient appelés à assumer les principales fonctions d’un régime de MNBC efficace.

Deuxième caractéristique de conception : modèle fondé sur les comptes

Nous croyons qu’un modèle fondé sur les comptes offrirait aussi des avantages appréciables, notamment les fournisseurs de services financiers bien réglementés auraient la seule responsabilité d’offrir à leurs clients des comptes en MNBC (p. ex., sous la forme de portefeuilles électroniques de garde), tandis que le la Banque du Canada assurerait la tenue du grand livre principal de la MNBC et non de la tenue de comptes MNBC individuels9.

Les portefeuilles électroniques de garde, dans le cadre d’un système fondé sur le compte nécessitant un robuste mécanisme de confirmation de l’identité, garantiraient des degrés supérieurs d’efficacité et d’interopérabilité avec d’autres moyens de paiement. Les opérations individuelles au titre d’un tel modèle ne seraient pas traitées par la Banque du Canada, qui possède une expérience limitée dans la gestion des comptes de détail.

En tirant parti de la sécurité et de la stabilité existantes offertes par l’infrastructure financière éprouvée et fiable d’aujourd’hui, soutenue par le traitement opérationnel, la gestion avancée des risques et la résilience des banques actives, un modèle fondé sur les comptes améliorerait également la résilience de la MNBC et réduirait au minimum les risques opérationnels, dans le contexte d’un système hybride à deux paliers. Par ailleurs, ce type de modèle éliminerait le risque d’un point de défaillance unique inhérent à un système à un palier où la banque centrale est le seul opérateur de l’infrastructure porteuse, y compris les comptes individuels.

Un tel modèle réduirait les risques pour les particuliers de perdre leurs clés privées dans un modèle fondé sur des jetons. En effet, les mécanismes de protection de la vie privée offerts par ce modèle nécessiteraient des discussions plus approfondies entre les participants à l’écosystème de MNBC.

Troisième caractéristique de conception : monnaie ne portant pas intérêt

Nous soutenons l’engagement de la Banque du Canada mentionné dans son plan de prévoyance selon lequel toute MNBC de détail « ne rapporterait aucun intérêt »10 et serait conçue de telle manière qu’un dollar numérique dans un portefeuille électronique ne rapporterait pas d’intérêts, un peu comme un dollar dans un portefeuille physique. Comme l’indique le plan de prévoyance, « cela atténuerait les effets néfastes sur la stabilité financière qui pourraient survenir si les banques devaient recourir à des formes de financement plus chères et plus précaires pour remplacer le financement fourni par les dépôts »11. Cette affirmation va dans le sens du document de position de l’ABC selon laquelle la stabilité du secteur financier ne devrait pas être mise à mal en raison de l’émission d’une MNBC. En conséquence, tout écart par rapport à cet engagement à l’égard de la conception devrait donner lieu à de vastes consultations supplémentaires avec les intervenants.

Quatrième caractéristique de conception : limites sur le total des avoirs et la valeur des opérations

Compte tenu des difficultés liées à la détermination de la valeur exacte des dépôts bancaires qui pourraient être transformés en MNBC, en particulier pendant une éventuelle période de transition, nous sommes d’avis que le gouvernement devrait imposer des limites quant au nombre maximum de comptes MNBC et à la valeur des avoirs qu’un client individuel serait autorisé à détenir, ainsi que des limites sur la valeur maximale des opérations quotidiennes en MNBC qu’un client serait autorisé à exécuter.

L’imposition de telles limites au total des avoirs et à la valeur des opérations en MNBC contribuerait non seulement à atténuer le risque de désintermédiation financière, mais aussi à assurer la stabilité du système financier de notre pays. Autre point et non des moindres, une telle limite pourrait aussi alléger les risques liés au blanchiment d’argent et à d’autres délits financiers. Comme indiqué dans le premier document de position de l’ABC et par les recherches propres à la Banque du Canada, la limite des avoirs en MNBC pouvant être détenus dans un portefeuille numérique pourrait contribuer davantage à atténuer divers risques liés à la fraude auxquels font face les consommateurs12.

Coordination entre les différents paliers de gouvernement

Enfin, il est important que les gouvernements fédéral et provinciaux s’entendent entre eux et avec les organismes de normalisation internationaux concernés quant à tout enjeu de conception d’une MNBC dans le contexte de multiples autres initiatives de modernisation actuellement à l’étude. Sans une telle coordination, la mise en œuvre efficace d’une MNBC sera ardue. Il conviendrait aussi de tenir compte d’autres questions qui n’ont pas été discutées dans le présent document, comme le cadre réglementaire et de gouvernance nécessaire à un écosystème de MNBC efficace.

Dans son premier document de position, l’ABC a souligné son ferme engagement à collaborer avec la Banque du Canada et ses partenaires du gouvernement pour explorer les diverses observations soulevées dans le plan de prévoyance de la banque centrale, notamment le besoin continu d’évaluer d’autres solutions concernant une MNBC, dans le contexte d’un secteur financier canadien qui poursuit son évolution au rythme des avancées technologiques rapides.

Le présent exposé reflète l’attachement de longue date du secteur bancaire canadien à la promotion de la sécurité, de la stabilité, de la compétitivité et de l’efficacité du système financier canadien, ainsi que son soutien constant aux innovations utiles qui permettent à la population de profiter pleinement des avantages de sa participation à l’économie numérique.


1 L’Association des banquiers canadiens (ABC) est la voix de plus de 60 banques canadiennes et étrangères qui contribuent à l’essor et à la prospérité économiques du Canada.
2 Association des banquiers canadiens (août 2022), Examen de l’émission d’une MNBC au Canada, https://cba.ca/examining-the-issuance-of-a-Canadian-CBDC?l=fr.
3 Banque du Canada, Archetypes for a Retail CBDC, Sirham Darbha, note analytique du personnel (anglais), octobre 2022, https://www.banqueducanada.ca/2022/10/note-analytique-personnel-2022-14/; et Unmet Payment Needs and a CBDC, Christopher Henry et collab., document d’analyse du personnel (anglais), août 2023, https://www.banqueducanada.ca/2023/08/document-analyse-personnel-2023-15/.
4 Banque du Canada, La Banque du Canada lance une consultation publique sur un éventuel dollar numérique, mai 2023, https://www.banqueducanada.ca/2023/05/banque-canada-lance-consultation-publique-eventuel-dollar-numerique.
5 La Banque mondiale. Base de données Global Findex 2021 (anglais), https://www.worldbank.org/fr/publication/globalfindex/Data#sec1.
6 Banque des règlements internationaux, CBDCs: an opportunity for the monetary system, rapport économique annuel (anglais), https://www.bis.org/publ/arpdf/ar2021e3.htm. Ce modèle est similaire au « modèle de plateforme » proposé par la Banque d’Angleterre dans sa récente consultation sur la livre numérique : https://www.gov.uk/government/consultations/the-digital-pound-a-new-form-of-money-for-households-and-businesses.
7 Le champ d’application actuel de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail aborde certains des risques posés par les intermédiaires non bancaires dans un modèle de distribution hybride à deux paliers pour une MNBC de détail, mais aucune disposition n’a été prévue en matière de mise en conformité.
8 Banque du Canada, Should the Central Bank Issue E-Money, document de travail du personnel (anglais), décembre 2018, https://www.banqueducanada.ca/2018/12/document-travail-personnel-2018-58/.
9 Ce modèle est similaire au « modèle de plateforme » proposé par la Banque d’Angleterre dans sa récente consultation sur une MNBC.
10 Banque du Canada, Plans de prévoyance concernant une monnaie numérique de banque centrale, février 2020, https://www.banqueducanada.ca/2020/02/plans-prevoyance-concernant-monnaie-numerique-banque-centrale/.
11 Ibid.
12 Banque du Canada, Security and convenience of a central bank digital currency, Kahn, C. et F. Rivadeneyra, note analytique du personnel (anglais), octobre 2020, https://www.banqueducanada.ca/2020/10/note-analytique-personnel-2020-21/.

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